Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî

Un savant distingué de l'éveil islamique
Le vendredi 7 juillet 2000.

 

Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî

Né en 1926 à Saft Et-Turâb, Province de Gharbiyyah, Egypte

 

Enfance

Orphelin à l'âge de deux ans après la mort de son père, Sheikh Yûsuf Abd-Allah Al-Qaradâwî naquit dans une famille de paysans attachés à l'islam. Son oncle l'éleva et prit grand soin de lui. Il l'envoya dans son enfance à l'école coranique du village où il acheva la mémorisation du Coran à l'âge de 10 ans. Son oncle célébra cet événement et à partir de cette date, on lui donna le titre de "Sheikh" dans sa famille.

Lorsqu'il termina le cycle primaire, son oncle jugea utile de lui apprendre un métier artisanal afin qu'il ait une profession et une source de revenu. Mais le jeune Sheikh était animé par d'autres espoirs. Il tenait à poursuivre son éducation et à étudier les sciences islamiques. Il réussit à convaincre son oncle. Une fois de plus l'oncle au cœur généreux apporta tout son soutien à son neveu.

 

Etudes et activités islamiques

Il étudia alors à l'institut religieux d'Al-Azhar à la ville de Tantâ. Ce fut un pas dans son éducation à Al-Azhar. Neuf ans plus tard, il obtint son diplôme secondaire et partit au Caire pour continuer ses études à Al-Azhar, dans la Faculté des Fondements de la Religion (Usûl Ad-Dîn). En 1953, premier au classement, il obtint son diplôme de l'Université.

 

Entre 1953 et 1960, Sheikh Yûsuf poursuivit ses études à Al-Azhar. En 1957, à la Faculté de La Langue Arabe, il fut premier au classement sur une promotion de 500 étudiants dans « l'habilitation à enseigner ».

En parallèle avec ses études de Langue Arabe, il suivit le cursus du département du Coran et des sciences de la Sunnah de la faculté des Fondements de la Religion (Usûl Ad-Dîn). Il fut le seul étudiant reçu à l'examen préliminaire et obtint son diplôme en 1960.

En 1960, il commença la préparation de sa thèse. Cependant, les répressions de l'époque nassérienne contre les Frères Musulmans empêchèrent Sheikh Yûsuf de continuer. En 1973, il termina avec excellence sa thèse traitant de l'aumône légale et de son rôle dans la solution de problèmes sociaux.

Sheikh Al-Qaradâwî joignit l'Association Islamique des Frères Musulmans alors qu'il était au cycle secondaire de l'institut religieux d'Al-Azhar dans la ville de Tanta.

Il avait une grande admiration pour Sheikh Hasan Al-Bannâ.

D'autres savants contemporains marquèrent Sheikh Yûsuf. Parmi ceux-là, citons Sheikh Muhammad Al-Ghazâli, Sheikh Al-Bahiyy Al-Kholy, Sheikh Muhammad `Abd Allah Daraz, Sheikh Mahmûd Shaltût et Sheikh `Abd Al-Halîm Mahmûd.

Au début des années 50, Sheikh Al-Qaradâwi fut responsable des activités du mouvement islamique à Al-Azhar. Il fut un membre du comité des volontaires d'Al-Azhar luttant contre l'occupation britannique du Canal de Suez. A la fin de la lutte armée dans la zone du Canal de Suez en 1952, il forma une délégation composée d'étudiants d'Al-Azhar. La délégation rencontra des Sheikhs occupant des postes clés dans la hiérarchie d'Al-Azhar afin d'apporter des améliorations aux programmes d'études d'Al-Azhar. Cette démarche fut appréciée par Sheikh Muhammad Al-Khidr Husayn, Grand Imâm d'Al-Azhar à l'époque.

A cause de son affiliation aux Frères Musulmans, il fut emprisonné en 1949, entre 1954 et 1956 et une brève période de 1962.

Ses débuts avec la prédication remonte à 1956, dans l'une des mosquées du Caire. En 1959, il fut interdit de prédication et fut transféré au département islamique de la culture à Al-Azhar. En 1962, Al-Azhar le détacha au Qatar pour occuper le poste de président de l'Institut secondaire des études religieuses.

En 1977, il dirigea la fondation de la Faculté de la Sharî`ah Islamique à l'université de Qatar dont il devint le doyen. La même année, il fonda le Centre des Recherches de la Sîrah et de la Sunnah.

 

Efforts dans la prédication

Il fut le premier à appeler à la fondation de l'Association Internationale du Secours Islamique, pour aider des musulmans confrontés à la pauvreté et à la maladie aux quatre coins du monde.

Depuis sa jeunesse, il s'impliqua activement dans l'appel à Dieu. Par son dévouement dans la prédication, le caractère posé de ses réflexions et de ses écrits, la chaleureuse du coeur qui se dégage de ses sermons contribuèrent à sa renommée. Sa plume prolifique produisit un certain nombre d'ouvrages de qualité dans diverses branches des sciences islamiques. Mais c'est peut-être l'image du juriste qui prédomine les écrits de Sheikh Al-Qaradâwî. Notons aussi qu'il composa un certain nombre de poèmes ; certains sont d'ailleurs publiés dans son recueil intitulé Nafahât wa Lafahât.

Oeuvres et pensée

On lui compte aujourd'hui plus de quatre-vingt ouvrages. Ses écrits eurent un succès en Orient comme en Occident si bien que certains de ses livres furent édités une dizaine de fois et de nombreux furent traduits dans plusieurs langues étrangères (surtout l'anglais). Souvent les écrits de Sheikh Al-Qaradâwî dégagent une rigueur juridique et la ferveur du prédicateur. Il se pencha sur de nombreuses questions dites "modernes", notamment des questions juridiques qui préoccupent les musulmans vivant dans des sociétés occidentales. Naturellement, les opinions de Sheikh Al-Qaradâwî qui relèvent de l'ijtihâd personnel ne font pas l'unanimité. Elles sont néanmoins, en général, richement argumentées et méritent d'être débattues entre savants et juristes.

Le professeur Abû Al-A`lâ Al-Mawdûdî fit l'éloge du livre de Sheikh Al-Qaradâwî intitulé Fiqh Az-Zakâh - ouvrage approfondi traitant de l'aumône légale - en disant : « C'est l'ouvrage du siècle en matière de jurisprudence islamique ».

Depuis 1980 et jusqu'à nos jours, Sheikh Al-Qaradâwî eut un rôle actif dans la question de l'éveil islamique. Il composa un certain nombre d'ouvrages visant à établir une voie médiane et équilibrée pour cet éveil et tenta d'en définir les priorités.

Citons quelques-uns de ses ouvrages :

-  Ghayr Al-Muslimîn fî Al-Mujtama` Al-Islâmî, Les non-musulmans dans la société islamique.
-  Malâmih Al-Mujtama` Al-Muslim Al-Ladhî Nanshudoh, Les Traits de la Société Islamique que Nous Espérons.
-  An-Niyyah wa Al-Ikhlâs, L'Intention et la Sincérité.
-  Madkhal li Ma`rifat Al-Islâm, Introduction à l'Islâm.
-  Al-Hayâh Ar-Rabbâniyyah wa Al-`Ilm, La vie seigneuriale et la science.
-  As-Sahwah Al-Islâmiyyah wa Humûm Al-Watan Al-`Arabî wa Al-Islâmî, L'Eveil Islamique et les peines du monde arabe et musulman.
-  Al-Khasâ'is al-`Âmmah lil-Islam, Caractéristiques générales de l'Islam, 1977
-  Al-Halâl wal-Harâm, Le licite et l'illicite
-  Fiqh Az-Zakâh, La jurisprudence de l'aumône légale, 1969
-  As-Sahwah al-islâmiyyah bayna al-djuhûd wa At-Tatarruf, L'Eveil Islamique entre le rejet et l'extrémisme, 1984.
-  Kayfa nata`âmal ma`a Al-Qur'ân, Comment aborder le Coran.
-  Fawâ'id Al-Bunûk, Les Intérêts Bancaires.
-  Madkhal li dirâsat Ash-Sharî`ah Al-Islâmiyyah, Introduction à l'étude de la Législation Islamique.

 

 

Son approche du concept de licite et d'illicite

Dans la préface de 1960 de la première édition de son ouvrage le licite et l'illicite, il exposa la méthodologie qu'il a adoptée dans cet ouvrage en particulier, et dans ses écrits de façon générale : « Un tel ouvrage exige de son auteur de se prononcer au sujet de questions qui n'ont pas fait l'unanimité des savants parmi nos prédécesseurs et qui ont embarrassé les savants contemporains. Aussi pour pencher vers une opinion plutôt qu'une autre en parlant de licite ou d'illicite, il convient d'être patient et de prendre le temps de faire des recherches approfondies où l'auteur n'a d'espoir que de satisfaire Dieu et d'atteindre, grâce à Lui, la vérité.

J'ai constaté aussi que la plupart des écrivains et chercheurs qui parlent d'Islam dans notre ère appartiennent à l'une des deux catégories suivantes :

 

  1. Un groupe ébloui et aveuglé par les éclats de la civilisation occidentale. Impressionnés par leur grande idole, ils l'ont vénéré, en lui présentant de nombreux sacrifices et en se dressant humblement devant elle, avec des yeux baissés. Ils acceptent tous les us et les coutumes de l'Occident ainsi que ses principes, qui à leurs yeux sont indiscutables et au-dessus du moindre doute. Lorsqu'un aspect de l'islam est en accord avec ces principes et coutumes occidentales, les voilà comblés de joie, et dans le contraire, ils emploient leurs efforts pour trouver un compromis, rapprocher la vision islamique de la vision occidentale, ils se sentent obligés même de s'excuser pour ces divergences ou de déformer les enseignements islamiques comme si l'Islam n'avait d'autre choix que d'accepter la vision et les principes occidentaux… Telle a été leur approche en parlant de choses que l'Islam a rendu illicites telles que : les statues, la loterie, l'usure, les têtes à têtes entre un homme et une femme non-mahram, se parer d'or ou de soie pour un homme, etc. Ils froncent les sourcils devant des choses que l'islam a rendu licites telles que le divorce et la polygamie comme si, pour eux, ce qui est légal en occident doit être licite en islam et ce qui est illégal en occident devrait être illicite en islam. Ils oublient que l'Islam c'est La Parole de Dieu et que La Parole de Dieu est toujours la plus élevée. Ainsi l'islam est à suivre, il n'est pas tenu de suivre, il domine et s'élève au-dessus de tout et il n'est pas à être subordonné. Car comment penser que Dieu doit suivre ses serviteurs, ou que Le Créateur doit être subordonné aux passions de ses créatures ? « Si la vérité était conforme à leurs passions, les cieux et la terre et ceux qui s'y trouvent seraient[…]. » [1] et « Dis : ‹Est-ce qu'il y a parmi vos associés un qui guide vers la vérité ?› Dis : ‹C'est Allah qui guide vers la vérité. Celui qui guide vers la vérité est-il plus digne d'être suivi, ou bien celui qui ne se dirige qu'autant qu'il est lui-même dirigé ? Qu'avez-vous donc ? Comment jugez-vous ainsi ?› » [2].
  2.  

  3. Quant aux membres de la 2ème catégorie, ils sont figés dans leurs opinions au sujet du licite et de l'illicite. Ils suivent une opinion qu'ils ont trouvée dans un ouvrage, en pensant qu'il incarne l'islam. Ils ne s'écartent pas d'un pouce de leurs opinions. Aussi ils ne mettent pas à l'épreuve les arguments et les opinions qu'ils avancent et ne les confrontent pas aux arguments des autres pour atteindre la vérité, après comparaison et analyses critiques. S'il l'un d'eux est interrogé sur la musique, le chant, le jeu d'échec, l'éducation des femmes, le fait que les femmes ne couvrent pas leur visage et leurs mains, ou autres questions similaires, « c'est illicite ! » s'empresseraient-ils de répondre. Leur comportement s'écarte de celui de nos pieux prédécesseurs ; ces derniers ne déclaraient illicite que ce dont l'interdiction est certaine. Pour les questions où une opinion tranchée n'existe pas, ils disaient plutôt : « Nous le désapprouvons », « nous n'aimons pas telle chose », ou des expressions dans le même esprit.
  4. J'ai fait de mon mieux pour ne pas être dans l'une ou l'autre catégorie. Je ne peux compromettre ma religion en vénérant l'occident, après avoir accepté Allah comme Seigneur, l'Islam comme religion et le prophète Muhammad comme messager de Dieu. En même temps, je ne peux suivre une des écoles de jurisprudence dans toutes ses opinions, à savoir celles qui s'approchent de la vérité et celles contredites par des arguments plus forts, en suspendant toute activité de réflexion propre, car comme le disait si bien Ibn Al-Jawzi « Celui qui imite aveuglément n'a point confiance en celui qu'il imite. L'imitation exclut la réflexion, alors que le cerveau est crée pour raisonner et réfléchir. Il est stupide qu'une personne munie d'une bougie pour lui éclairer la voie, l'éteigne et marche dans les ténèbres. » (Talbîs Iblis p.81)

    C'est pourquoi je ne suis pas resté prisonnier d'une des écoles de jurisprudence prévalentes en islam, car la vérité n'est pas détenue dans son intégralité par l'une d'elles. D'ailleurs, les Imâms fondateurs de ces écoles de jurisprudence n'ont pas prétendu être au-dessus de la moindre erreur, ils ont fait de leur mieux pour atteindre la vérité. S'ils ne l'atteignent pas ils auront une rétribution, s'ils l'atteignent, la rétribution sera double.

    L'Imâm Mâlik a dit « Dans les paroles de chacun, il y a des choses à prendre et d'autres à laisser, sauf le Prophète paix et bénédiction de Dieu sur lui ». l'Imâm Ash-Shâfi`î a dit : « Mon opinion est juste mais elle est sujette à l'erreur ; l'opinion de mes opposants est fausse mais susceptible d'être juste. »

    Il n'est pas digne d'un savant musulman capable de comparer et de choisir de s'attacher exclusivement à une école de jurisprudence et une seule, ou à un seul jurisconsulte. Il convient qu'il s'attache à la preuve et l'argument. Est à suivre ce qui est appuyé par des preuves solides et des arguments probants. A contrario, est à rejeter ce qui est établi sur des arguments faibles et des preuves incorrectes. L'Imâm `Alî l'avait dit : « La vérité ne se mesure pas [à la renommée] de celui qui la véhicule. Apprends la vérité tu reconnaîtras alors ceux qui s'y attachent. »

     

Si Sheikh Al-Qaradâwî préféra ne pas se restreindre à une école juridique, rappelons toutefois qu'il est de grands érudits et d'éminents savants qui ont fait le choix de s'inscrire dans le cadre de l'une des quatre Ecoles Juridiques prévalentes : l'Ecole Hanafite, l'Ecole Malékite, l'Ecole Shaféite et l'Ecole Hanbalite. Notons également qu'il est permis, voire nécessaire selon certains juristes, que le commun des mortels apprenne l'une de ces quatre écoles, largement agréées par l'ensemble de la communauté, et qui ont reçu une très fine formalisation par des érudits de la jurisprudence islamique.

 

Implications internationales

Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî est membre des organisations islamiques internationales suivantes : Centre de Jurisprudence de la Ligue Islamique à la Mecque, Centre royal de la civilisation islamique en Jordanie, Centre des Etudes Islamiques d'Oxford, Assemblée des hauts responsables de l'Université Islamique Internationale d' « Islam Abâd », Organisation de la da`wah islamique au Soudan. Il est également le Président du Haut Conseil Européen de la Fatwah.

Il rendit visite à de nombreux pays musulmans en Afrique et en Asie et participa à des conférences sur l'islam en Europe et notamment en France.

Il reçut un prix de la Banque islamique pour le développement de l'économie islamique en 1990, ainsi que le célèbre prix du Roi Faysal pour les Etudes Islamiques (photo ci-dessous) en 1992 et en 1996 un prix de l'Université Islamique en Malaysie pour son activité islamique remarquable.

es lecteurs et lectrices arabophones et/ou anglophones pourront consulter avec profit le site de Sheikh Al-Qaradâwî.

Avant de conclure, nous dirons que toute personne équitable ne peut qu'apprécier les efforts de prédication de Sheikh Al-Qaradâwî. Ce respect que nous avons pour lui ne nous dépouille pas du droit de ne pas souscrire à chacune de ses appréciations ou opinions. Il est des questions sur lesquelles les savants ne s'accordent pas. Pencher vers telle opinion plutôt que telle autre ne doit en aucun cas nous faire perdre de vue l'éthique de la divergence que nous enseigne l'Islam.

Que Dieu bénisse les efforts de Sheikh Al-Qaradâwî, qu'Il guide ses pas et les nôtres vers ce qu'Il aime et agrée.

[1] Sourate 23, Al-Mu'minûn, Les croyants, verset 71.

[2] Sourate 10, Yûnus, Jonas, verset 35.